En 2024, plus de 500 personnes ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Espagne depuis l’Algérie, selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras. Cette route, qui traverse la Méditerranée pour atteindre la péninsule ibérique ou les Baléares, est devenue la deuxième plus meurtrière après celle des Canaries.

Parmi les victimes, Youssef*, un Algérien de 26 ans, connaissait pourtant bien la mer. Ancien pêcheur et saisonnier sur le littoral algérien, il était également un excellent nageur. Malgré les risques qu’il mesurait pleinement, il a embarqué fin novembre, accompagné de 12 autres personnes, dans un bateau de fortune à Alger pour tenter de rejoindre Alicante. Hélas, après seulement cinq kilomètres en mer, le bateau a commencé à prendre l’eau. Une altercation a éclaté avec le conducteur de l’embarcation, provoquant son chavirement.

Parmi les naufragés se trouvaient une famille avec un bébé et une enfant de 6 ans. Youssef a aidé la petite fille à se maintenir hors de l’eau en la plaçant sur un bidon d’essence. Après six heures d’attente en pleine mer, les secours sont arrivés trop tard. Le bébé et sa mère n’ont pas survécu, tandis que Youssef et deux autres passagers ont disparu.

Une route de plus en plus meurtrière

D’après Caminando Fronteras, les tragédies sur cette voie sont devenues fréquentes, avec des corps retrouvés sur les côtes espagnoles plusieurs jours après les alertes de naufrage. En 2024, au moins 517 personnes ont péri sur cette route, un chiffre en augmentation par rapport aux années précédentes. En outre, 26 embarcations ont totalement disparu, emportant avec elles tous leurs passagers.

L’essor de la route des Baléares

Si les départs s’effectuent généralement depuis des villes comme Oran, Mostaganem ou Alger, de plus en plus de migrants optent pour la route des Baléares, moins surveillée mais tout aussi périlleuse. En 2024, près de 5 800 personnes ont débarqué dans cet archipel, une hausse de 154 % par rapport à 2023. Toutefois, ces traversées sont souvent marquées par des distances plus longues et un risque accru de perdre le cap.

Les migrants, appelés « harragas » ou « brûleurs de frontières », incluent de nombreux adolescents voyageant seuls, des familles entières, et un nombre croissant de jeunes originaires de pays subsahariens, syriens ou palestiniens. Pour certains, les Baléares représentent une porte d’entrée vers la France, où réside parfois leur famille.

Une migration poussée par le désespoir

En Algérie, l’absence de guerre contraste avec une crise économique persistante depuis 2014. Le chômage, même chez les diplômés, laisse peu d’espoir à la jeunesse. Youssef, comme beaucoup, avait initialement tenté d’obtenir un visa pour l’Union européenne ou le Canada, sans succès.

Sa famille, qui ignore encore son sort, pense qu’il est détenu en Espagne. « Nous n’avons rien dit à sa mère, elle est trop fragile », confie sa cousine. Mais pour les jeunes de son quartier, sa mort n’a pas suffi à décourager. « Dès le lendemain, d’autres embarquaient à leur tour. »

Ce phénomène illustre une détresse grandissante, où les rêves d’avenir se heurtent à des frontières toujours plus infranchissables.